L’effet cobra ou les incitatifs pervertis

Aujourd’hui, je vous présente l’effet cobra et son impact sur les résultats de votre organisation. Il est important de garder en tête cet effet lorsque les indicateurs de performance et plus particulièrement les objectifs de chaque secteur ou individu sont définis. Il serait dommage que la façon de mesurer et récompenser provoque l’effet inverse de celui désiré !

Il est quelque fois nécessaire de bâtir un programme de récompense pour motiver les équipes. Un programme trop simple peut générer des résultats contraires à ceux attendus. Est-ce que vos équipes vous rapportent des queues de rats, ou contribuent-elles réellement à la réussite de votre organisation ? À l’inverse est-ce que votre système d’intéressement aux résultats est suffisamment simple pour qu’elles le comprennent et y contribuent directement ?

L’histoire de l’effet cobra

Il se nomme d’après une légende de l’Inde colonialiste. Estimant qu’il y avait trop de cobras dans la ville de Delhi, les autorités décidèrent de mettre en place une récompense pour chaque tête de cobra rapportée. La mesure eu un franc succès, jusqu’à ce que l’administration découvre des fermes de cobras. Elle arrêta alors le programme de récompenses. Par conséquent, les éleveurs relâchèrent leurs animaux, augmentant le nombre de cobras initialement présents dans la ville.

Un autre cas très documenté est celui des rats dans la ville d’Hanoï, pendant la période coloniale française. En 1902, face à un problème sanitaire de peste, l’administration chercha ses solutions. Elle détermina que les rats étaient la cause de la peste. En effet, les rats sont porteurs de la maladie et pullulent dans les égouts (pourtant modernes) de la ville. Avec un 5 pourquoi, elle aurait pu aller plus loin dans son analyse de cause racine. Elle aurait peut-être éradiqué un problème qui existe encore à Hanoï, mais c’est une autre histoire.

L’administration mit en place une équipe dédiée à la dératisation des égouts. Toutefois, la tâche ingrate et mal rémunérée dégénéra en conflit du travail, tel qu’expliqué dans le document « Of rats, rice and race » de Michael G. Vann (en anglais). L’administration offrit alors à la population un centime par queue de rat capturée. Le rat entier aurait imposé trop de travail à des autorités sanitaires déjà débordées. Tout allait bien jusqu’à ce que l’administration découvre, outre des fermes de rats, des rats sans queue en ville…

Utiliser les incitatifs à bon escient

L’être humain est ainsi fait qu’il a besoin de motivation pour accomplir certaines tâches. Je ne reviendrais pas sur les motivations intrinsèques (sentiment d’accomplissement), qui sont difficilement perverties. Les incitatifs financiers, motivateurs extrinsèques, sont les plus à risque. Nous essayons de gagner le maximum avec le minimum d’efforts.

L’imagination et la créativité humaine ayant assez peu de limites, il ne sert à rien d’essayer de deviner comment tout un chacun pourrait pervertir le système. Il faut plutôt se questionner sur l’objectif. Est-ce qu’il est clair pour la direction, ainsi que pour les équipes ? C’est la première étape d’alignement. Si la population d’Hanoï avait compris pourquoi le gouvernement cherchait à éliminer les rats, le résultat aurait pu être différent.

Dans ce cas, l’objectif n’est pas uniquementde réduire le nombre de rats en ville, et en particulier dans les égouts. L’objectif est de prévenir les épidémies de peste et réduire la mortalité. Aujourd’hui, un des indicateurs pourrait être le nombre de rats passant chaque jour devant des caméras placées dans différents égouts de la ville. En l’absence de caméra infrarouge et de système de vision pour effectuer ce calcul automatiquement, d’autres évaluations auraient pu donner des informations sur la tendance de la fréquentation des égouts par les rats.

Mesurer la performance attendue

Il faut être créatif et aller au-delà des indicateurs que nous connaissons pour évaluer correctement les progrès de l’organisation. Les objectifs doivent mesurer un réel progrès ou une amélioration tangible de la performance et des résultats de l’organisation. Il est beaucoup plus difficile de définir un programme de récompenses, juste, basé sur de bons indicateurs, car il est nécessairement plus complexe.

Est-ce que la mesure aurait eu le même succès (au-delà des fermes et queues coupées) si les autorités avaient mis en place un système de récompense qui aurait indexé la récompense par queue de rat selon la baisse du nombre de rats par km2 ? Il aurait fallu enregistrer le nombre de queues rapportées par individu et verser la récompense la semaine suivante… Je ne suis pas sûre qu’il y aura un aussi grand engouement pour cette activité.